L’ensauvagé
Par Simon Beauséjour Boudreault
Depuis le début du projet, nous avons été en contact avec
plusieurs intervenants du monde agricole, la plupart enthousiastes face au
projet. Disons que le verger est atypique et pique la curiosité. Exit les rangs
bien alignés, l’herbe bien courte digne d’une banlieue, les tuteurs, les clôtures,
l’uniformité dans l’âge et dans la forme. Là, on voit plutôt des pommiers de
tous âges sagement désordonnés au travers d’une variété de compagnons végétaux plus ou moins herbacés ou lignifiés; cornouillers, amélanchiers, aulnes, sapins,
épinettes, mélèzes, quelques espèces nobles et bien d’autres. Le champ forme
une sorte de cuve naturelle avec en son centre un espace marécageux. Les pommiers
eux se tiennent les pieds au sec sur les légères pentes qui se terminent à la
lisère de la forêt. La densité du verger ferait sans doute sourire un
pomiculteur traditionnel avec 550 pommiers sur moins de 7 ha. Pourtant
l’impression d’être dans un milieu dominé par le pommier est bien présente et
on s’y sent bien. Un beau mélange d’ordre et de désordre, un travail d’équipe
harmonieux entre mon père et ses champs. Durant mon adolescence, j’ai émis le
souhait de me faire amener en ces lieux si jamais mon esprit traversait la fine
ligne qui nous protège de la folie. Ce champ m’apaise et me ramène à ce qu'il y a
de beau en moi. J’y ai un profond attachement.
Alors, quelle valeur donner à un tel lieu? Et de quelle
valeur parle-t-on? Valeur agricole, valeur sentimentale, valeur marchande? La
question recèle en elle une belle réflexion sur notre rapport à la nature qui
nous entoure. On évalue bien souvent la valeur marchande par rapport à la somme
des interventions humaines sur un lieu. Plus on se rapproche du cœur de la
civilisation, disons le centre-ville d’une métropole, plus le pied carré est
valorisé. Alors qu’un lieu sauvage où l’impact des humains est faible, est
dévalorisé aux yeux du marché. Qu’en est-il d’un verger sauvage? Sa valeur
est-elle moindre qu’un verger traditionnel?
Si on voulait mettre en marché de belles pommes à croquer,
la valeur d’un tel verger sauvage serait pratiquement nulle. Non parce que les
pommes ne sont pas bonnes, mais plutôt parce qu’elles ne répondent pas aux
besoins du marché. Ce que l’on cherche est une pomme de bon calibre, qui reste
sur l’arbre pour la récolte, qui se conserve bien, résistante aux maladies, etc. À cet égard, on plante généralement au Québec un bassin très limité de
variétés, en mode monocultural et en créant une fracture assez grande avec le
milieu écologique déjà en place. Il est bien évidemment impossible d’établir
une rotation des cultures dans un verger d’où l’importance d’établir un milieu
biodiversifié où les mécanismes de protections et d’équilibres naturels peuvent
s’exprimer.
Mais alors mon ti-père, le verger hirsute de ton père, ce
verger spontané issu du troufignon de nos amis gourmands les chevreuils,
qu’est-ce qu’il vaut? Est-ce que c’est possible d’en tirer un revenu agricole
suffisant et durable? Bien beau vouloir changer le monde, mais faut bien la
nourrir la planète !! Et ce n’est pas avec un 5 tonnes/hectares (je dis
n’importe quoi là) qu’on va y arriver! Ok, ok, bien sûr mais faut essayer quand
même. Il y a peut-être moyen de manger un repas sans se servir une dose de
poison à chaque fois! M’enfin…
Et le cidre dans tout ça? Et bien la beauté du cidre c’est
que tous les critères du marché pour la pomme à croquer, et bien ON S’EN FOUT!
Ces pommes, le consommateur ne les verra jamais. Alors que les pommes soient
petites, criblés de tavelure ou difformes est sans importance. Ce qu’on recherche
ce sont des fruits qui donnent un cidre qui a de la profondeur, du caractère, bref
de la personnalité. Et c’est là que le verger sauvage brille de mille feux et
retrouve sa vraie valeur. Car la manière dont poussent les arbres semble avoir
une importance aussi grande que la variété vis-à-vis les qualités cidricoles de
la pomme. Ces arbres ont eu la vie dure. Ils ont dû surmonter mille et un
dangers pour survivre et ont développés des systèmes de défenses très efficaces.
Contrairement à un arbre implanté dans un verger traditionnel, notre petit
sauvageon doit très vite développer un large système racinaire pour contrer les
sécheresses et aller chercher les nutriments indispensables à son
développement. Je suis convaincu que ce système racinaire élaboré contribue à
donner aux fruits de l’intensité et du caractère. Ces pommes une fois au sol à
l’automne se doivent d’y demeurer le plus longtemps possible pour que
d’éventuels animaux viennent s’y nourrir et disséminer les pépins aux quatre
vents. Pour ce faire, le fruit développe une peau plus épaisse, mais aussi des
agents de préservation naturels comme les acides et les tannins, qui sont des
traits recherchés pour faire un vrai bon cidre. D’autres part, chaque spécimen
qui peuple le champ est un champion de l’adaptabilité et de
la résilience. Dans la vision actuelle du projet, il nous est impensable de
faire des traitements phytosanitaires ou d’importer des fertilisants ou même des
amendements. Les vrais champions, ce sont eux, pas nous et j’aurais
l’impression de m’immiscer dans un système beaucoup trop complexe et subtil pour
ma compréhension et risquer de mettre en péril un équilibre fragile.
Alors en regard du potentiel cidricole de ces pommes, des
capacités de résistance hors normes de ces arbres et disons-le, d’un coût
d’implantation quasi nul, ce verger retrouve sa pleine valeur. Mais au-delà
du potentiel de production et de manière bien plus profonde, la valeur
fondamentale du lieu se retrouve dans son rôle de réserve de biodiversité.
Chaque parcelle de terre qui est épargnée de la main colonisatrice des humains
est une victoire pour l’écosystème planète et les humains qui y habitent. Et
puis si en plus on peut trinquer à la santé de la vie avec un bon cidre du
terroir, et bien là, je crois que ça vaut la peine de tenter l’aventure…
C'est vraiment trippant votre projet!!
RépondreSupprimerEt c'est très agréable de te lire Simon :)
Je vais suivre vos aventures certain.
Et bien merci Thierry! Tu remportes le prix du premier commentaire!!
SupprimerNous sommes émerveillées de te lire Simon et nous avons très hâte de trinquer avec toi autour d'une bonne bouteille de cidre. Sylvie R et Suzie
RépondreSupprimerSe Simon et toute ta famille,apprenez a connaître et a partager cette terre qui est la vôtre
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