Monsieur Sauvage
Monsieur Sauvage
Fin avril dans le nord de la France, plus précisément dans le pays d’Auge, dans le département de Calvados. Pays des pommes, des manoirs et du fameux Calvados. Le climat en ce temps ci de l’année y est doux comme une fleur avec juste ce qu’il faut de fraîcheur. J’y ai passé une semaine avec Marie-Pier, mon amoureuse. Qu’il est bon de fuir le gris du mois d’avril québécois pour rallonger malicieusement le printemps.
Nous sommes donc arrivés dans les doux vallons normands en pleine floraison des pommiers sous un soleil convaincant pour y visiter quelques cidreries. Il existe dans le coin de Cambremer, une jolie concentration de cidrerie et de distilleries, la plupart offrant du cidre, pommeau et Calvados.
Il y a bien sûr, ces domaines pimpants qui se targuent d’une certaine noblesse. Ces domaines produisent principalement du Calvados et immobilise des millions d’euros dans des tonneaux de chêne. C’est bien joli tout ça. Ça fait une belle jambe, un joli vernis mais bon, on passe vite.
Il y a en France une tradition paysanne profondément ancrée, souvent en porte-à-faux avec l’agriculture boursière, celle qui se compte en actions. C’est à la recherche de cette paysannerie, au détour d’une brochure touristique, que nous sommes tombés sur une description intrigante. Petite cidrerie paysanne bio, sur rendez-vous seulement, contactez M. Alain Sauvage. Moi qui me suis gavé du romantisme suranné d’Alexandre Jardin et de ses multiples personnages dénommés Sauvage, ma curiosité était piquée.
Quelle est belle cette Normandie!
Un petit chemin sinueux nous mène joyeusement dans les entrailles de la Normandie paysanne. Une petite enseigne avec une grosse flèche nous guide pour la dernière montée. Il s’agit d’une jolie petite ferme surplombant une vallée bien tassée autour d’un village moyenâgeux. On s’y sent bien. Ici, c’est le modèle traditionnel normand que l’on appelle pré-verger. Les vaches broutent l’herbe paisiblement, engraissent les pommiers qui sont tous sur haute-tige, à l’abri des ruminants. Le tronc des pommiers est protégé par un corset, une espèce d’armature métallique les protégeant de la fâcheuse tendance des vaches à se frotter énergiquement sur l’écorce pouvant occasionner des blessures sérieuses aux arbres.
Notre hôte nous accueille tout sourire, visiblement content d’avoir de la visite en cette glorieuse journée du mois d’avril. Vous voyez, dit-il, ici c’est petit, pas plus que 5000 bouteilles et encore. Les clients sont vieux comme les pommiers et viennent ici par habitude. Il y a ma vieille mère qui habite ici dans la maison que vous voyez. C’est moi qui s’en occupe. Nous sommes nés ici et y restons. Mais venez donc, je vais vous montrer le chai!
On y entre un peu comme dans une grotte. C’est peut-être dû à la minéralité des surfaces, beaucoup de pierre, de la brique, du crépi et du béton. Même les vieilles poutres surdimensionnées de chêne ont une apparence de roches noires. Cette teinte sombre se retrouve sur toutes les surfaces poreuses du chai. Elle est dû au champignon de la part des anges (Baudoinia compniacensis), qui se développe dans les endroits où il y a des vapeurs d’alcools. Et les anges sont bien gâtés ici. Environ 25 tonneaux de chênes bien noircis sont posés au sol en rang bien droit. Voilà mon fond de retraite nous dit-il. Chaque année, il reçoit la visite du bouilleur de cru ambulant et remplit un tonneau d’eau de vie qu’il laisse vieillir tranquillement. Une petite visite annuelle des inspecteurs vient régulariser le tout et voilà! Je ne sais pas pour vous mais puis-je en avoir une bouteille s.v.p?
Bon Monsieur Sauvage, nous pourrions y rester longtemps mais on vous laisse aller aux soins de votre bonne vieille mère et de vos bêtes. Ce fut une très belle visite et on se prend à vouloir aller s’incruster dans un petit coin du chai pour divaguer dans les effluves de la part des anges. On est encore sur terre mais… pas tout à fait.
Merci Monsieur Sauvage
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