« Il faut reboiser l’âme humaine »
En voilà une belle phrase du défunt Julos Beaucarne. À
l’époque de la lumière bleue, d’une certaine réconciliation avec les
autochtones et de la pollution généralisée, ça résonne fort une phrase comme ça.
N’est-ce pas un bel objectif? Lutter contre les angles droits de la vie, contre
les angles morts aussi. Se reconnecter au chaos harmonieux et à la diversité
profonde d’une forêt, de notre forêt intérieure, c’est peut-être ce qui sauvera
le monde. C’est ce que je nous souhaite pour 2022.
J’ai dernièrement parcouru le livre La révolution d’un
seul grain de paille de Masanobu Fukuoka. Cet agriculteur japonais nous rappelle
l’importance du non-agir en agriculture et prône une agriculture sauvage. Il y
fait l’apologie d’une agriculture libérée d’une certaine rectitude et d’un
système traditionnel très exigeant en ressources humaines et matérielles. Il nous
propose une vision, un système agricole qui porte beaucoup d’espoir et qui
laisse un
espace pour la poésie et l’émerveillement. C’est, je crois, dans
cette direction que nous devons évoluer si nous voulons nous « reboiser
l’âme ».
Petit extrait La révolution d’un seul grain de paille
de Masanobu Fukuoka.
« Les méthodes de contrôle des insectes qui ignorent
les relations entre les insectes eux-mêmes sont tout à fait inutiles. La
recherche sur les araignées et les cicadelles doit aussi considérer la relation
entre araignées et grenouilles. Quand les choses sont arrivées à ce point un
professeur, spécialiste de la grenouille, devient également nécessaire. Des
experts de l’araignée et de la cicadelle, un autre du riz, et un de
l’irrigation devront se joindre au groupe.
(…)
Nous venions juste de moissonner le riz, et en l’espace
de la nuit le chaume du riz et l’herbe qui y poussait s’étaient entièrement
couverts de toiles d’araignées comme de la soie. Ondulant et miroitant avec la
brume matinale, c’était un coup d’œil superbe.
(…)
Le spectacle est un drame naturel stupéfiant. En voyant cela, on comprend que les poètes et les artistes devront aussi se joindre au groupe. »
Petit bilan du verger spontané
À la suite d’un hiver relativement doux, les pommiers
sauvages ont eu une floraison abondante. Tandis que plusieurs vergers
québécois ont été très affectés par des gels tardifs suite à un printemps doux,
il semble que les sauvageons n’aient pas été affectés. Mon père me faisait
remarquer que la formation de l’arbre peut avoir un effet sur la résistance au
gel. On a tendance à ouvrir l’arbre lors de la taille pour favoriser les rayons
solaires et la production fruitière. En ce faisant, est-ce qu’on n’expose pas
aussi les bourgeons floraux au gel? Tout compte fait, il semblerait que nos
pommiers offrent une belle résistance aux aléas printaniers.
Un autre aspect très important dans la lutte contre les gels
tardifs est la configuration même du
terrain. Un site idéal est une pente légère dans les hauteurs, exposé au soleil
et protégé des vents dominants. Ce site doit laisser une voie naturelle pour que l’air froid
puisse se déverser dans les baisseurs du terrain. Il se crée alors de
véritables lacs d’air froid, laissant ainsi les pommiers plus haut sur les
coteaux à l’abri du gel. Notre verger, situé à environ 400 mètres d’altitude, semble
prendre avantage de ce relief. L’air étant un fluide comme l’eau, il est intéressant
de constater que les creux du terrain plus enclins au gel sont aussi l’endroit où les pommiers ne poussent pas. Qui aime avoir les pieds humides et froids?
L’été fut bien tranquille. Pas de fertilisation, 1 ou 2
traitements pour donner un petit coup de pouce à certains arbres qui semblent être
moins outillés pour se défendre. Faut quand même aider les copains et être
solidaires! Et puis qui sait, c’est peut-être une ''phase'', une petite déprime
saisonnière. Alors c’est dans ces moments-là que mon père agite ses petites
concoctions (bio bien sûr;) et qu'il vaporise sa bienveillance. Mais
franchement, en général, le moral des troupes est bon!
Et puis l’automne qui suit…
Il faut s’imaginer. Nous sommes dans le verger au début de
l’automne. Il y a de ces journées incroyables avec un je ne sais quoi. L’air
sec et craquant sous un ciel bleu clair et limpide nous donne un répit des
journées moites et lourdes de l’été. Il fait bon être dehors. Suer est agréable.
Ce sont les récoltes et la nature nous rassure de son abondance et de sa
bienveillance. Ce sont les belles journées de l’année, celles qui devraient servir
de modèle, de gabarit pour tous les autres. Je m’imagine bien m’enraciner moi
aussi, comme un pommier. Des racines jaillissent de sous mes pieds et
s’insèrent profondément dans le sol. Il y fait frais et mes racines se
déploient dans l’humidité du sol à la manière d’un chat qui s’étire. Elles ressentent
l’affleurement rocheux pas si lointain, continuent leurs chemins jusqu’à une
veine d’eau ou elles s’arrêtent, satisfaites pour l’instant.
Mes mains tournées vers le soleil, j’entreprends une
conversation mycorhizienne électrochimique avec un vieux pommier tout près.
-Salut vieille branche! Comment vas-tu?
-Ah ça va. J’ai pris un coup de vieux dernièrement. Tu sais,
je viens de souffler mes 80 balais. La santé ça va, mais il faut que je sois
plus prudent. Mes branches sont encore productives, mais je dois absolument me
reposer 1 année sur 2. Je tombe en dormance de plus en plus tôt et puis me
réveiller au printemps, ouf, de plus en plus dur. Et puis il y a ces maladies
qui m’angoissent, le feu bactérien, les moisissures, les champignons qui ne
cessent de chercher un endroit où glisser sous ma peau. Tu sais, à force de
compter les jours et les nuits, notre peau s’épaissit mais il suffit d’une
brèche pour que le loup entre dans la bergerie. Alors oui ça va mais…
-Oui je vois. Oh mais regarde sous tes branches! Tu vois ces
enfants qui viennent jouer? Il semble qu’ils t’aient choisi. Tu vois, avec tes
belles grosses charpentières horizontales qui viennent effleurer le sol du bout
de leurs doigts, tu offres un terrain de jeu idéal. Ton tronc incliné leur permet
de grimper facilement et ton houppier dégarni leur permet de survoler des yeux
leur royaume, comme des rois et reines. Tu vois comme ils ont du plaisir? Et
puis tu es l’endroit idéal pour accrocher un hamac…
Un joli silence s’installe. Un merle vient se poser sur mes
branches. J’ai toujours adoré me faire jouer dans les cheveux. Une impulsion
électrique me ramène à notre conversation.
-Et toi, ça va?
-Moi oui ça va. Je vais bientôt balayer mes 40 bougies. Mes
branches sont en pleine production! Tu sais c’est bien mais c’est parfois lourd
à porter. Mais j’ai des bonnes racines et j’ai eu la chance de germer ici, dans
ce champ. Et puis je suis toujours en amour, alors ça aide à calmer les
angoisses et les tracas. Alors pour la suite, j’espère et je touche du bois.
- …
-Si je capte bien tes phéromones, tu me semble anxieux
vieille branche! Mais tu sais, ta pomme n’est pas tombée loin de toi, alors du
haut de ma jeunesse, je peux t’aider. Je peux t’envoyer des signaux électriques
à l’aide de mes racines et des phéromones dans l’air pour t’avertir d’un danger!
Et avec l’aide des champignons et des copains bénéfiques, on va t’aider. Je
vais faire attention en poussant pour ne pas ombrager tes feuilles, si tu as de
la difficulté à te nourrir, nous t’aiderons. Tu vois, tu n’es pas seul!
-Ou si. Seul, mais seul ensemble! Allez, si tu veux, je te fais
un câlin mais tu sais, je suis plutôt lent alors il va falloir être patient.
-C’est bon. Tu sais, la terre est lente mais les pommiers
sont patients!
Bonne année!!!
Simon Beauséjour Boudreault
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